Quand le "justicier" de la Bourse Gotham City Research s’attaque à une pépite française

 

Le fonds spéculatif Gotham City Research, qui se présente comme un justicier sur les marchés financiers, a choisi une nouvelle cible jeudi : la société française SES-imagotag, qu'il a lourdement

critiquée dans un rapport accusateur. Une démarche qui peut avoir un impact énorme sur les sociétés visées.

Pour certains, il est un prédateur financier, tandis que d'autres considèrent Gotham City Research comme un justicier traquant les fraudeurs sur les marchés. Pour les entreprises visées, ce fonds spéculatif est surtout de mauvais augure.

La société française SES-imagotag en a récemment fait l'amère expérience. Accusée d'être largement surévaluée en Bourse dans un rapport critique publié le jeudi 22 juin par Gotham City Research, cette pépite française, qui valait plus de deux milliards d'euros en Bourse, s'est effondrée en quelques heures, entraînant la suspension de la cotation de ses actions.

L'encombrant partenaire chinois

Après avoir réapparu sur l'indice boursier vendredi matin, l'action de SES-imagotag, leader mondial de l'étiquetage électronique en grande surface, a continué sa chute libre et sa valeur a été divisée par deux en moins de 24 heures.

Le rapport de 48 pages de Gotham City Research met en évidence un aspect spécifique de l'activité de SES-imagotag : ses liens avec la société chinoise BOE Technology Group, son principal actionnaire. Gotham City Research s'étonne que le géant chinois, premier fabricant mondial d'écrans plats pour téléviseurs, soit également l'un des principaux fournisseurs de SES-imagotag et un client important. Pour le fonds spéculatif, cela soulève des doutes sur "le potentiel de malversations financières élevé".

Les auteurs du rapport soulignent également que les résultats financiers et boursiers du groupe français ont connu une hausse impressionnante après l'entrée de BOE au capital. Selon Gotham City Research, il y aurait donc quelque chose de suspect dans la comptabilité de SES-imagotag, et les résultats financiers entre 2020 et 2022 seraient "surévalués".

Cependant, rien de tout cela ne constitue une preuve définitive. Le groupe français a contesté toutes les conclusions de Gotham City Research. Mais cela n'a rien changé. "Les attaques de Gotham City Research visent à saper la confiance des investisseurs dans la société ciblée, et la confiance est la principale force motrice en Bourse", souligne Alexandre Baradez, analyste de marché chez IG France, une société de trading en ligne.

La France n'est pas habituée à ce type d'offensive de la part d'un fonds spéculatif au profil très particulier de "justicier" financier autoproclamé. "Les sociétés françaises cotées à la Bourse de Paris qui ont été ciblées par Gotham City Research ou d'autres fonds similaires sont rares", souligne Alexandre Baradez.

Le cas français le plus célèbre - et presque unique - concerne Casino, qui avait été visé par Muddy Waters Research en 2015. Le fonds spéculatif affirmait dans un rapport détaillé que l'action de l'enseigne française ne valait pas près de 100 euros, mais moins de 10 euros. "On connaît la suite. Aujourd'hui, l'action de Casino ne vaut plus que 8,2 euros", note Les Échos.

"Ce ne sont pas des justiciers désintéressés"

"Il existe un petit groupe de fonds spéculatifs - Gotham City Research, Muddy Waters Research et Hindenburg Research, entre autres - qui suivent tous le même modus operandi", souligne Alexandre Baradez. Ils recherchent des sociétés cotées dont les comptes leur semblent suspects, mènent leurs enquêtes pour découvrir s'il y a anguille sous roche, et s'ils estiment que c'est le cas, ils publient de longs rapports dans lesquels ils n'hésitent pas à utiliser des termes tels que "tromperie", "fraude" ou "manipulation".

Cependant, "ce ne sont pas des justiciers désintéressés. Ils agissent toujours par appât du gain", souligne l'expert d'IG France. Avant de rendre leurs conclusions publiques, ces fonds spéculatifs parient sur la baisse des actions de leur cible. "Il est possible de réaliser d'énormes profits - par exemple, lorsque les cours chutent de plus de 50 % - en un laps de temps très court si leurs attaques réussissent à semer le doute parmi les investisseurs", souligne Alexandre Baradez. Ils ont donc tout intérêt à ce que leurs rapports soient largement diffusés.

Ils ont également intérêt à disposer de preuves étayant leurs allégations. En effet, "si les allégations se révèlent fausses, ces fonds risquent gros en justice, où ils peuvent être accusés de manipulation des cours", souligne Alexandre Baradez. Sans oublier que leur crédibilité en souffrirait considérablement, ce qui pourrait être économiquement fatal pour des structures qui dépendent de la confiance des investisseurs dans leur travail. Foto-vagueonthehow, Wikimedia commons.