Au Tchad, les diplômés désœuvrés rêvent de la fonction publique

 

Ils sont tchadiens, dans la trentaine, diplômés depuis plus de dix ans mais toujours au chômage. Survivant grâce à des petits boulots informels dans les rues de

N'Djamena, ils gardent l'espoir de décrocher un emploi dans la fonction publique.

Dans la grande cour sablonneuse de l'école publique de Chagoua Fdar, située dans un quartier populaire de la capitale tchadienne, une dizaine de jeunes hommes, appuyés sur leurs motos, font partie de l'Association des Diplômés sans Emploi.

"Nos aînés ont été automatiquement intégrés, certains sont devenus professeurs d'université. Nous ne pensions pas que nous finirions ainsi", s'exclame Nan-Arabé Lodoum, 34 ans, coordinateur de l'association.

Le pays compte environ 57 000 étudiants dans l'enseignement supérieur, selon le gouvernement. Certaines formations, avec un concours d'entrée sélectif, assurent le statut d'élève fonctionnaire et, après l'obtention du diplôme, celui de fonctionnaire. En théorie. Mais pour Nan-Arabé, comme pour beaucoup d'autres, ce n'est pas le cas.

En 2014, il a obtenu une licence en sciences biomédicales. Dix ans plus tard, il est presque chanceux car il travaille comme enseignant vacataire dans une école de santé publique. Cependant, avec un contrat de 30 heures par an pour un salaire de 90 000 francs CFA, il ne gagne que l'équivalent de 137 euros par an. Très loin des 400 000 francs mensuels (610 euros) qu'un technicien de laboratoire débutant dans le secteur public pourrait percevoir.

Il complète ses revenus en travaillant comme "moto-taxi". D'autres diplômés du supérieur vendent des produits de rue ou travaillent comme ouvriers sur des chantiers, dans le secteur informel.

"Réseaux" "Si nous sommes toujours au chômage dix ans après l'obtention de notre diplôme, c'est simplement parce que nous n'avons pas de relations", déplore Nan-Arabé. Pour lui, seuls ceux qui ont des contacts parviennent à obtenir un emploi dans la fonction publique.

Benjamin Roukika Pontchombé, 33 ans et diplômé en 2014, se rend au ministère de la Fonction publique plusieurs fois par mois pour vérifier l'avancement de son dossier.

"Les informations sont fournies uniquement les mardis et jeudis. Ne pas insister", préviennent des affichettes.

Les agents sont submergés de dossiers. Certains, empilés sur le sol et recouverts de poussière, portent un tampon "2020"...

Benjamin se voit constamment répondre depuis dix ans que son dossier n'a pas encore été informatisé.

Abandonner l'espoir d'un emploi dans la fonction publique est difficile pour ces diplômés. "Nous ne voulons pas abandonner ce que nous avons construit, nous voulons que justice soit faite", insiste Nan-Arabé.

En 2022, l'ONU a indiqué que 60 % des demandes d'emploi venaient de jeunes diplômés âgés de 25 à 35 ans, et l'institut de statistiques de l'État a assuré en 2017, dernier chiffre disponible, que 60 % des jeunes diplômés étaient au chômage. Dans le deuxième pays le moins développé au monde, plus de 42 % de la population vit sous le seuil de pauvreté (environ 2 euros par jour), selon l'ONU en 2022.

"La fonction publique n'est pas la seule opportunité pour réussir dans la vie. Mais au Tchad, l'intégration des jeunes est bloquée depuis plusieurs années", constate Céline, fonctionnaire de 34 ans, qui préfère garder l'anonymat. Elle envisage de quitter la fonction publique après quatre ans, insatisfaite de son salaire. Foto-Yacoub, Wikimedia commons.